Ιταλικό εστιατόριο — Paris
Ιταλικό εστιατόριο — Paris
La scène se déroule au 4 de la rue de Poitou, en plein cœur du Marais (Paris) : Fulvio, 67 ans, interrompt son récit pour fouiller dans les archives de son smartphone. La quête ? Des clichés de célébrités ayant un jour franchi la porte de son restaurant sarde de poche. Sous l’épaisse pulpe de son index, défilent les visages d’artistes, chefs, sportifs et politiques, auprès desquels l’homme – plus ou moins barbu selon l’époque mais toujours radieux – prend la pose. Entre autres, l’actrice Leïla Bekhti, l’artiste japonais Takashi Murakami, le chef Alain Ducasse et la famille Bouglione au complet (propriétaire du Cirque d’hiver, situé à quelques enjambées).
« Tais-toi, assieds-toi là »
Trente-quatre ans dans un mois que Fulvio est lui-même devenu une vedette du quartier des Enfants Rouges – « Fulvio est un peu connu sans vouloir me la péter », frime-t-il gentiment à la troisième personne. Au point de se voir consacrer une chanson par son ami et plus fidèle client Bruno Putzulu, acteur et chanteur dont je découvre l’existence, au grand désespoir de Fulvio dont les yeux grimacent en constatant mes lacunes.
Le voilà qui chantonne :
« Parfois le soir, le coeur fanfare,
sur ma moto, j’vais chez Fulvio.
Rue de Poitou, du monde partout,
une p’tite enseigne à la romaine.
Vitres embuées, je vais entrer,
c’est un resto, c’est chez Fulvio. (…)
Je pousse la porte, plein à craquer,
Fulvio me voit, vient dans mes bras.
J’lui dis « c’est plein, j’passerai demain »,
il m’dit « tais-toi, assieds-toi là ».
Il sort deux coupes, le vent en poupe,
le prosecco coul’ra à flot. »
« Début d’la nuit, à nous Paris »
Ce soir-là chez Fulvio, pas un chat. Bruno Putzulu aurait-il menti ? « Pas du tout », lit-on sur la mine grave du patron, usé par les années et la concurrence accrue qu’implique la gestion d’une affaire située dans le quartier le plus animé de la ville. « Ce que Bruno raconte, c’est un âge d’or », déplore Fulvio. Celui des vodkas orange au Queen après chaque service, des Lucchini debout sur les tables et des penne à l’arrabiata à cinq heures du matin. Dix, vingt, trente ans plus tard, l’homme peine à remplir son restaurant spécialisé dans les pâtes – par ailleurs d’une immense constance. La faute aux adresses à la mode qui poussent par ici comme des champignons, assure-t-il. Carboni’s est de celles-là : murs nus, banquettes cognac et vaisselle vintage. Sur Instagram, l’adresse comptabilise 34 000 abonnés. Autant de mangeurs qui ne prêteront sans doute pas attention à la devanture écarlate de Fulvio, pourtant située à deux minutes à pied de là et recouverte d’autocollants remis par les guides les plus estimés qui soient (Gault & Millau, Le Fooding). « Bene… », conclut l’homme en haussant des épaules.
« Le meilleur garçon de Paris »
Face à ses concurrents, l’homme résiste et s’interdit de ployer sous le joug des tendances : « J’ai ni le look ni l’âge pour faire un truc branché. » Mais il a mieux à offrir. Des histoires longues et farfelues, d’autant plus délicieuses qu’elles sont racontées avec un accent sarde à couper au couteau (et la gestuelle qui va avec), comme cette fois où, à tout juste vingt ans, il servit la feue reine d’Angleterre à l’Hôtel Savoy de Londres : « Je m’en souviens comme si c’était hier. Elle était habillée en bordeaux et portait un chapeau rond avec une plume d’oiseau d’au moins vingt centimètres. Je n’ai pas respecté la règle des trois pas en arrière mais elle m’a quand-même fait un grand sourire. »
Une formalité pour celui qui gagnait sa vie par le service avant même de savoir écrire : « Ma tante proposait le gite et le couvert chez elle. À huit ans, je servais et débarrassais, ça m’a valu des pourboires très généreux ». Déjà, Fulvio avait tout pour devenir « le meilleur garçon de Paris » (compliment qu’il reçut plus d’une fois). « La façon de se comporter, d’occuper l’espace… », c’était en lui.
« Y’en a pas deux comme toi »
De serveur hors-pair à patron charismatique, il n’y a qu’un pas et une pièce de deux francs dégringolant dans un horodateur. Toujours avec un certain sens de la rhétorique, Fulvio raconte la genèse de son restaurant : « 1er mai 1989, 14 heures 55. J’arrive cinq minutes en avance devant le local (ndlr : l’actuel restaurant Fulvio) pour le visiter. Quand j’ai vu l’état du restaurant à travers la vitre, j’ai rebroussé chemin. C’est à peine quelques mètres après que j’ai entendu la pièce tomber dans l’horodateur. » Un signe pour le Vierge ascendant Sagittaire qui « croit à mort à tout ça ». Demi-tour et…désillusion : en l’espace de quelques minutes, le local s’est vendu. Pendant des jours, le futur patron rend visite au cédant midi et soir : « Si vous me vendez cette affaire, j’en ferai un empire. » Le 16 octobre de la même année, le restaurant Fulvio naissait.
Avec lui, le défilé de VIP, dont le chef Alain Ducasse (pas moins de vingt étoiles Michelin à son actif), pour qui Fulvio – en véritable Giuseppe Verdi des temps modernes – poussa la chansonnette. « À l’époque, je chantais systématiquement les quarante plats de pâtes que j’ai à la carte. C’était magnifique mais beaucoup trop long, paraît-il… » Rapidement devenu un habitué, le chef remit un jour au patron une lettre manuscrite – Fulvio ne m’en dévoilera pas le contenu – accompagnée d’une parole qui raisonne encore entre les murs en pierre de son bouclard : « Y’en a pas deux comme toi ».